• Marie.

    Jour de bande à Dunkerque, pour la première fois,

    La timide, douce et très jolie Marie

    S'en va au carnaval, seule sans son mari

    Qui le dos aussi raide qu'une gueule de bois

     

    Sur ordre du médecin doit garder le lit.

    Tôt, elle prépare son clet'che, se maquille ;

    Après un zotche, elle sort, radieuse, sourit ;

    Elle a le cœur tout léger, ses jolis yeux brillent.

     

    De sémillantes couleurs inondent les rues

    D'un flot extravagant bigarré et en crue ;

    Du centre-ville jusqu'aux plus reculés faubourgs

    Roule pompeusement le son sourd des tambours.

     

    Tout d'abord, elle se rend chez l’aîné de ses frères ;

    Rue de la liberté, il y tient chapelle,

    Là, beau comme un dieu, le regard plein de mystères,

    On lui présente alors l’envoûtant Gabriel.

     

    Il a de grands yeux clairs, des yeux qui hypnotisent.

    Elle frissonne ; un long frisson de convoitise

    Lui monte dans le dos, s'infiltre sous sa peau,

    Roule sur tout son corps comme des perles d'eau.

     

    Il est si beau, de lui émane un charme étrange ;

    Deux ailes dans le dos ; un clet’che peu banal

    Lui donne un aspect, mis homme, mis animal.

    Il est si mignon, ce ne peut être qu'un ange.

     

    Qu'il ferait bon se blottir au creux de ses ailes !

    Songe Marie, mais cette douce folie,

    Ce rêve interdit, elle, toujours si fidèle

    Se doit d'oublier une telle ignominie.

     

    Soudain, il lui prend la main, l'invite à le suivre ;

    « Vite ! Dépêchons-nous...La bande est sur la place !»

    On entend gronder les tambours, sonner les cuivres,

    Des chansons montent joyeusement dans l'espace.

     

    Ils rejoignent la bande, remontent la rue

    Principale de la capitale des Flandres.

    Du haut de l'hôtel de ville, tel des offrandes,

    Tombe une pluie de harengs, la foule afflue.

     

    Ensuite, tous les carnavaleux se dispersent ;

    Marie se laisse conduire de chapelle

    En chapelle, se grise de bières diverses,

    S'enivre d'une liberté toute nouvelle.

     

    Le temps passe trop vite ; après le rigodon,

    Alors que s'éteint une dernière chanson.

    Marie se serre contre son compagnon ;

    Furtivement lui adresse un baiser fripon.

     

    Il l’enlace, au pied de Jean-Bart d’un coup l’emporte ;

    Contre la statue, Marie s’abandonne,

    Sous de douces caresses, la belle frisonne ;

    Un désir fou l’inonde, l’envie est trop forte.

     

    Le beau Gabriel de ses ailes l’enveloppe

    Puis il la soulève et la pénètre d’un coup,

    Avec ses bras, elle lui enlace le cou ;

    Marie s’est muée en Marie salope.

     

    Perdue dans l'orage d’un corps qui s’embrase

    Et n’a jamais connu une semblable extase,

    Elle jouit crevant les cieux d’un éclair brûlant,

    Elle jouit sous l’étreinte de son divin amant.

     

    De ses pieds, à la pointe dressée du sabre,

    Jean-Bart est tout ébranlé ; les yeux animés

    D'indicibles plaisirs qui la font se pâmer,

    Marie sent soudain une lave cinabre,

     

    Au tréfonds d’elle, la dévorer toute entière.

    Encore frémissante, sans adieu, sans baiser,

    Son amant l’abandonne ayant fait son affaire ;

    Heureux et tout guilleret, d’un coup d’aile aisé,

     

    Il s’envole, disparaît au fond de la nuit.

    Marie reste seule, Marie se vexe ;

    Crie son désarroi au bel ange qui s’enfuit

    Pourquoi un ange, les anges n’ont pas de sexe.

     

    Pourtant celui-là était plutôt bien fourni

    Songe-t-elle déjà avec mille regrets.

    Il ne lui reste plus qu’à garder le secret,

    De ce jour de folie, de ce jour Béni.

     

    Seule, seule, elle erre tristement sur la place

    Maintenant, il ne lui reste plus qu’à rentrer.

    Son mari ! Joseph ! Ce courageux charpentier

    Qui sur le port travaille au radoub de barcasses

     

    Elle s’en veut maintenant de l’avoir trompé.

    Rendue à la maison, complètement pompé

    A tâtons sans bruit, elle monte se coucher

    De rentrer si tard, elle craint de le fâcher.

     

    Les mois passent, son petit ventre s’arrondit

    Marie se mue en Marie Madeleine.

    C’est un fils qu’elle attend, on le lui a prédit.

    Les mauvaises langues ne restent pas en peine.

     

    Quelques témoins présents dans la bande murmurent

    C’est le fils de Jean-Bart, le fils du carnaval. 

    Jaloux, ces gens-là bavent tel de vieux chacals

    Et souvent se complaisent dans leur vomissure.

     

    Alors que décembre pointe un nez tout gelé,

    Le bébé trépigne, il aimerait bien sortir.

    Il est minuit, Noël sonne à toute volée ;

    L’enfant naît, mais quel sera donc son avenir ?

     

    Ce bébé Marie, elle le baptise Pinte

    On le oint de bière comme d'une huile sainte.

    Adepte du houblon, ennemi de la flotte

    Il sera carnavaleux ; toujours en ribote,

     

    Il fera tous les bals, suivra toutes les bandes

    Du carnaval il en écrira la légende.

    Mais l'an prochain, je vous conterai son histoire.

    Trinquons à sa santé ! Servez-vous donc à boire !

                                                          Le Loup rouge aux yeux bleus

    Marie.

                                     

     

     

     

     

     

     

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