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Corsaire une fois
Corsaire une fois
Assis sur le sable blond d’une dune,
Seul, L’œil dans la vague, je contemple l’horizon,
Indicible trait de plume, arc de lune,
Où se pose ma rêverie, ma déraison.
Vision évanescente, où je rêve
D’infinis voyages et m’envole,
Alors, tout un univers se lève,
Mirage, ou mon esprit s’affole.
Pour le roi, sous les ordres de Jean Bart
Vieux loup de mer, je manœuvre la barre.
Agile, escalade les câbles de hauban,
Commande la manœuvre, fier comme Artaban.
M’agite sur le pont de la poupe à la proue ;
Avec ardeur, pousse les marins à la roue ;
Avec mes camarades, j’affronte la tempête,
Crains voir cent fois le navire courir à sa perte.
Afin de limiter l’emprise des vents,
Je cargue ou limite la voilure
Pour du voilier maîtriser l’allure
Et déjouer les vils caprices du temps.
Puis, sur les flots soudainement calmés,
La, ou une mer à peine ourlée par la brise
S’abrite furtivement des éléments en crise,
Dans une crique où des oiseaux palmés,
S’ébattent, se poursuivent à grands cris, puis plongent
Dans une onde claire comme du cristal de roche ;
Du regard, je sonde l’eau profonde et je songe :
« Comme il serait bon de vivre ici sans anicroche. »
Les voiles sont abattues, l’ancre est jetée,
Une chaloupe halée sur le pont, mise à flot.
Il faut monter à bord, faire partie du lot
Et Poser le pied sur cette rive enchantée.
Sous la magnificence de ces lieux,
Les matelots du plus jeune au plus vieux,
Ramollis par cette douce villégiature,
Rechignent à partir pour une autre aventure.
Voyant décliner fortement leur esprit guerrier,
Le capitaine s’emporte, poussé par la colère,
Menace les envoyer ramer dans une galère
S’ils refusent tous encor longtemps d’appareiller.
Leur âme de corsaire retrouvée,
Laborieux, libre de toute pensée,
Ils reprennent la mer, l’ordre enfin revenu,
Vite, trouver une proie à mettre au menu.
Soudain, par ses cris la vigie en alerte,
Les hommes affairés sur le pont alerte,
Sans perdre de temps, ils hissent la voilure,
Aux limites des mâts, risquant la rupture.
A quelques encablures navigue un vaisseau,
Pour quel roi, quel pays, quel en est le pavillon ?
Grâce au vent nous aurons réponse à cette question.
Voilà ! C’est un Hollandais, un joli morceau.
Jean Bart, monté sur le pont dirige la manœuvre,
Fort de sa tactique, pour la victoire il œuvre,
Sur le flanc du quatre mats habilement se porte,
Ses hommes, en place pour la bataille il exhorte.
Les canons du Dauphin prés au feu tonnent.
Sautant sur leur proie depuis le bastingage,
Les corsaires d’un cri montent à l’abordage,
Forts, habiles et courageux, ils m’étonnent.
Je me surprends en incomparable bretteur ;
Distribue l’estocade, sème la terreur
Sur le pont ravagé du navire ennemis.
Puis, Je suis chargé de régler sans compromis
Le sort des prisonniers sur le pont réunis.
Au tréfonds d’une cale on viendra les jeter
Sans que personne ne daigne s’en inquiéter ;
Les morts pour sauver leur âme seront bénis
Et leurs corps aux requins donnés à dépecer.
Jean Bart étonné par mon grand courage
Désire devant tous me rendre hommage ;
Il commence à parler pour me congratuler.
Tout à coup, le cri Déchirant et sauvage
D’une mouette, à un mètre de mon visage ;
Ce cri brutal me fait l’effet d’une bombe,
Les images s’estompent, le rideau tombe.
Fouetté par le vent à genoux sur la dune,
Hébété, l’œil trouble, la tête dans la lune,
Je me tâte, je suis habillé de fourrures,
D’une jupe à pois, porte d’énormes chaussures ;
En fait, c’est de mon clèt’che que je suis vêtu.
Je me lève trop brusquement, chancelle un peu,
Me redresse et marche face à un vent têtu.
Fatigué, moulu de partout, la tête en feu,
Me dirige en direction du centre-ville,
Passe sur le devant de l’hôtel de ville.
Enfin, je pose pied sur la grand-place ;
Là, trône la statue juste en face.
Mon rêve à ses pieds ainsi parachevé,
Le corsaire noble et fier le sabre levé
Semble tout prêt à descendre de son piédestal
Pour défendre sa vie, porter un coup fatal,
Se battre pour cette cité qui l’a vu naître
Sur laquelle il veille encore et toujours en maître.
D’ailleurs, au soir, pas plus tard qu’hier,
Sur cette place, digne et fier,
A genoux sur le pavé de la rue,
Le regard voilé tourné vers la nue,
Faiblement éclairé par un lampion,
J’entonnais cette fameuse chanson
Au milieu de milliers de carnavaleux,
Fidèles convertis chantant avec ferveur,
La gloire de Jean Bart, louant l’homme d’honneur,
Avec respect, de l’émotion dans les yeux.
Puis en peu de temps la foule s’est dispersée
Et nous sommes alors tous partis en bordée
Ecumer les cafés. Nous fûmes invités
Dans nombre de chapelles ; un peu éméchés,
Dans l’aube naissante, d’humeurs taciturnes,
Sorti de ces bacchanales nocturnes,
Du côté de la plage je m’en fus errer.
Sur un coin de sable je voulais me terrer
Me reposer un peu, m’étendre, me délasser,
Sous de meilleurs hospices pouvoir me dégriser.
Trop épuisé, sur la dune me suis endormi,
Avec un mal de crâne pour unique ennemi.
De cette escapade sur une belle frégate,
Moi qui ignorais ce que peut-être une régate,
Je garderai dans un coin de mon cœur
Le souvenir d’un instant de bonheur,
Où je fus, une heure,
Une heure, une fois,
Seulement une heure,
Corsaire du roi.
P Letessier
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