• A mon père.

    C'est l'heure où les oiseaux sortent des arbrisseaux.

    Une hulotte hulule au bout du ruisseau ;

    La pendule de l'église agite sa cloche,

    Alerte, le jour à pas de velours approche.

     

    Un linceul livide enrobe la vallée ;

    La nuit s'agenouille au chevet de la rivière,

    S'infiltre lentement au cœur de quelques pierres,

    Une gueule noire tente de l’avaler.

     

    Des vasques semblables à de grands bénitiers

    Où la lune s'est mystérieusement baignée,

    Ouvrent béatement de grands yeux indignés,

    Face au divin soleil, implorent sa pitié.

     

    Gommant les mystères oubliés par la nuit,

    L'aube arrive furtive, s'installe sans bruit,

    Communion de lumière entre ciel et terre,

    Offrande consacrée, aube de la sphère.

     

    La nature engourdie sort de son sommeil

    Encore toute émue de songes mystérieux,

    Paresse sous les premiers rayons du soleil,

    Comblée par la douceur de ses premiers feux.

     

    Des draps brodés de brumes légères s’effilochent,

    Dévoilent un joli sourire « d'entre roches »,

    Éternel et figé au fond d'une vallée

    Que les siècles passés ont patiemment creusée.

     

    Une onde claire et pure s'y est alitée,

    Sève de la nature, source enchantée ;

    Sur un sable doré tranquille elle murmure

    Intimidé par l'ombre d'une haute ramure.

     

    Soudain sur des galets, elle roule, sévère,

    Dans son lit, en furie, bouillonne de colère ;

    Puis saute de roche en roche, crie et postillonne,

    De rage elle écume, de l'inconnu s'étonne.

     

    Soudain, elle se tait, tout semble facile,

    Devant elle une grande baie, un miroir fragile,

    Prend un air détendu, elle attend le soleil,

    Immobile, plonge dans un nouveau sommeil.

     

    Cette surface lisse et son air fort paisible

    Abrite en coulisse de grandes profondeurs,

    A leur sujet circulent nombreuses rumeurs ;

    Ces lieux seraient hantés d'une faune invisible,

     

    Homme, bête, Non ! Mais d'incroyables chimères ;

    On parle également de nymphes aux yeux verts

    Et même la vouivre avec son corps de vipère,

    Ses ailes fantastiques et son œil pervers,

     

    Au cœur de ces abysses se serait endormie.

    Beaucoup de ces croyances tel une endémie,

    Jadis alimentaient autour du feu le soir

    Des récits de sorcière lus dans un grimoire.

     

    Lors de mes flâneries, je me plais à croire,

    En suivant dans les airs quelques formes fugaces,

    Qui s'échappent et s'élèvent tout droit dans l'espace,

    A cette légende, cette drôle d'histoire.

     

    Parfois, mon ombre libérée trop indiscrète,

    Tire brutalement de sa cache secrète,

    Dans un éclat, l'âme argentée d'une truite,

    Qui aussitôt à mon approche prend la fuite.

     

    Fasciné, ému, je scrute l'onde profonde ;

    La rivière, son reflet partout à la ronde,

    Alors transparaît le visage de mon père

    Où nous pêchions accompagnés de mon frère.

     

    Ses cendres sur l'eau claire, aux quatre vents semés,

    Reposent en liberté sans linceul et sans bière,

    Dans le lit, près du ventre de cette rivière

    Qu'il avait si souvent vantée et tant aimée.

     

    Quand la nostalgie sur ses berges me porte,

    Qu'un songe fabuleux en frêle esquif m'emporte ;

    Je retourne en enfance, un rêve me vient, j'espère,

    Un voile dans le regard, je pense à mon père.

     

    Les pieds dans la rosée, je longe une rive,

    Bordée d'épineux noirs où babille une grive ;

    De légères fumerolles sortent de l'eau

    Tombent une à une en gouttes fraîches sur ma peau.

     

    Envahis par une troublante sensation,

    Je frissonne, étreint part une folle émotion.

    Il me semble que dans la blancheur du matin,

    Toujours habile, une canne à mouche à la main,

     

    Geste ample, taquinant la belle mouchetée,

    Sauvage et noble truite tant convoitée ;

    Au détour de ce long et tortueux chemin,

    Hissé sur un rocher, musette sur les reins...

     

    Plus vite, mon cœur s’emballe, mon cœur se serre ;

    Cours...Cours...Il reste encore un virage à passer ;

    Oui ! Là-bas, je vais enfin retrouver mon père

    Et pouvoir une dernière fois l'embrasser.

    Le Loup rouge aux yeux bleus

    A mon père.

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